La normalité est-elle synonyme d'abscence de difficultés ?

Publié le 5 Juillet 2006

Christian Reichel

Chaque être humain a besoin de pouvoir évaluer la qualité de ce qu'il vit en fonction de critères bien établis; généralement il a son système de valeurs et évidemment ses propres critères d'évaluation. Ceux-ci sont basés entre autres sur la comparaison avec d'autres individus ou d'autres systèmes qui, en principe semblent bien fonctionner. On se compare toujours avec d'autres personnes chez qui l'on admet un taux de réussite élevé.

Admirer une famille qui va bien

Dans le domaine du couple et de la famille, nous n'échappons pas à ce genre de comparaison. Immanquablement nous irons lorgner du côté des familles qui " marchent bien " , en nous posant la question de base: " mais comment font-ils pour si bien réussir? "
Réussir dans leur entente de couple, réussir dans le domaine de l'éducation, réussir dans la gestion de l'argent, etc. La réussite en point de mire, tel est le critère principal de nombreux systèmes de valeur aujourd'hui. Qui pourrait nous blâmer de vouloir imiter tel couple, ou telle famille, qui apparemment parvient à maintenir ce précieux équilibre que nous recherchons tous? Qui pourrait nous détourner de l'idée que les facteurs de réussite de tel couple ne seraient pas à imiter? Après tout l'apôtre Paul n'a-t-il pas dit lui-même « soyez mes imitateurs» ? Prendre une personne ou un couple comme modèle n'a donc rien de répréhensible en soi. Appelant à grandir en maturité, les textes bibliques nous indiquent le chemin de la croissance non facultative : il faut donc bien que nous observions attentivement ceux que nous pourrions nommer « des pères et des mères spirituels» pour faire si possible aussi bien qu'eux.

La réussite, critère absolu ?

Mais là où les choses se gâtent un peu, c'est au moment où le modèle devient l'étage à atteindre à tout prix, et où la réussite devient la cible primordiale, la barre par-dessus laquelle nous devrions sauter, sinon...
Dès lors gare aux difficultés synonymes de parcours chaotiques. Elles ne sont plus permises. Elles laissent un goût amer dans la bouche et dans l'âme de ceux qui les subissent. Elles deviennent quasiment des preuves que quelque chose ne tourne pas rond et que nous sommes en situation d'échec. Certes des difficultés peuvent représenter des remises en question utiles, et personne ne souhaite se complaire dans la situation désagréable d’un parcours manqué. Bien masochiste qui s’y complairait.

"Shalom" - la paix dans le ménage

Qui l'eût cru? Avoir la " paix dans le ménage ", ce n'est pas une absence de conflits caractérisée par un vocabulaire soft et des relations où l'on ne dit jamais un mot plus haut qu'un autre. Mais c'est davantage un ensemble de relations où l'on a appris, parfois dans les larmes et l'effort, à se sortir d'un conflit où chaque partenaire voulait avoir raison. Ou encore à s'extraire d'une situation épineuse où chaque membre de la famille se sentait découragé et incompris. Ne serait-ce pas là la véritable réussite?
Evidemment dans une société où seul compte le résultat, le chemin parfois laborieux qui y conduit ne semble pas intéressant.
Dommage! Parce que justement c'est cela qui semble intéresser le plus celui qui nous connaît le mieux, Dieu notre Père et notre Rédempteur. Lorsqu'il nous propose sa paix, sa " shalom ", ce n'est pas en installant des plantes d'agrément le long d'une autoroute, mais en nous encourageant au bord d'un chemin tortueux et rocailleux. Shalom devient dès lors, non pas synonyme d'absence de conflits ou de difficultés, mais équilibre précieux au milieu d'un terrain incertain qui ne cesse de bouger. Plus défiant, plus intéressant. Moins attractif, moins facile d'apparence que les situations " édéniques " auxquelles nous rêvons (ah! la nostalgie du Jardin d'Eden que nous conservons au fond de nous...). Alors quelle " normalité " voulons-nous choisir?